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Une fraternité plus forte que la guerre - Le Devoir

Yrys

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Un livre raconte l'étrange destin de deux commandants ennemis : Ne tirez pas! , de Jean-Louis Morgan et Linda Sinclair

Décembre 1944. Un jeune commandant de Québec, Stanislas Déry, porte secours à 54 naufragés d'un sous-marin nazi qui vient d'être coulé en haute mer. Pour avoir sauvé
ces vies malgré les règles sans pitié de la guerre, le commandant sera blâmé par les dirigeants alliés.Plus de soixante ans après la fin du conflit, cette histoire incroyable a été
recueillie par Jean-Louis Morgan et Linda Sinclair dans Ne tirez pas! (Éditions de l'Archipel), un livre lancé aujourd'hui au Musée naval de Québec. Ce récit unique fera d'ailleurs
l'objet d'un documentaire sur les ondes de Radio-Canada dès cet automne.

Stanislas Déry est né dans une des nombreuses familles d'amoureux de la mer qui vivaient avant les années 1960 sur les rives du Saint-Laurent. À la grande époque des
goélettes du fleuve, son grand-père était capitaine à Trois-Pistoles et aimait naviguer avec ses petits-enfants. Le jeune Stanislas fait son cours classique au Petit Séminaire
de Québec puis entre à l'Université Laval, en 1932, pour mener des études en droit. Au déclenchement de la guerre, en septembre 1939, il abandonne sa carrière d'avocat
et se joint à la Marine royale du Canada.

Fin 1944, le commandant Déry est à bord de la corvette St Thomas, chargée d'apporter du ravitaillement aux forces alliées stationnées en Angleterre. Le 27 décembre, en
plein milieu de l'Atlantique nord, il repère un sous-marin ennemi. L'U-Boat 877 est torpillé sur-le-champ. Les marins nazis, remontés difficilement à la surface, nagent tant
bien que mal avec leurs gilets de sauvetage dans l'eau glacée de l'Atlantique.

Stanislas Déry pose alors un geste inattendu. Il ordonne à ses hommes d'arrêter de tirer sur les naufragés en perdition. À la surprise générale, il fait lancer des filets à la
mer pour pouvoir les sortir du tumulte des eaux. L'équipage malheureux de l'U-Boat 877 effectuera le reste de la traversée avec celui du St Thomas. C'est une occasion
pour le commandant Déry de fraterniser avec son homologue allemand, Peter Heisig, mais aussi de réfléchir à l'absurdité du conflit qui les oppose. Les soldats canadiens
sont particulièrement surpris de voir que les Boches ne sont, en fin de compte, que «des p'tits gars comme eux autres».

Les deux commandants «se moquent de leur propre guerre et de la folie des hommes, comme si la vie était plus forte que tout», écrivent Jean-Louis Morgan et Linda
Sinclair. On voit d'ailleurs une photo des hommes du St Thomas qui posent pour la postérité avec les marins d'Hitler, comme si pour eux la paix et la fraternité des jours
meilleurs avaient déjà trouvé place à bord. Une fois la guerre terminée, les deux commandants se rendront visite régulièrement, de part et d'autre de l'Atlantique.
«M. Heisig voue une reconnaissance sans bornes à M. Déry», explique l'historienne Linda Sinclair.

Expliquer la vie

Qu'est-ce qui a bien pu pousser Stanislas Déry à poser un geste aussi inattendu? Les explications varient. «Dans la marine, l'ennemi, c'est le bateau avant tout», suggère
Jean-Louis Morgan. Une fois le navire neutralisé ou coulé, les marins ont accompli leur travail et ne vont pas nécessairement tirer sur les naufragés eux-mêmes, comme ils
s'en prendraient aux soldats au front. Ce qu'a accompli le commandant Déry d'exceptionnel, et ce pour quoi il sera blâmé à son arrivée en Angleterre, c'est de ne pas avoir
abandonné les sous-mariniers allemands en perdition dans l'Atlantique.

Pour Mme Sinclair, l'acte de bravoure de M. Déry était aussi un geste caractéristique des Canadiens. Ces derniers étaient réputés pour être moins agressifs que les
Britanniques. «Ils ne recevaient pas des bombes sur leur tête tous les jours, eux», ajoute Jean-Louis Morgan.

C'est à l'époque où elle dirigeait le Musée naval de Québec, il y a de cela dix ans, que Linda Sinclair a fait la connaissance du commandant Déry. Fascinée par son histoire,
elle pense rédiger quelque chose sur le sujet mais n'en fait rien, faute de temps. C'est seulement l'automne dernier, quand le réalisateur Alain Stanké lui annonce son
projet de produire sur le sujet un documentaire pour Radio-Canada, qu'elle se lance dans l'écriture de Ne tirez pas!, qu'elle cosigne finalement avec le journaliste, écrivain
et traducteur Jean-Louis Morgan.

Les auteurs ont basé leurs recherches sur des documents officiels de la marine militaire -- notamment pour faire état des divers événements survenus à bord du convoi du
St Thomas -- et sur des sources d'information plus personnelles, comme la correspondance de Samuel Déry avec ses parents. Linda Sinclair s'est également rendue en
Allemagne pour interviewer Peter Heisig et recueillir diverses informations. «Le récit s'adresse davantage au grand public qu'à des spécialistes», explique Linda Sinclair.
Elle dit laisser volontiers aux universitaires le soin de faire des recherches plus poussées. Chose certaine, pareille histoire de fraternité humaine, au milieu du bain de sang
que fut la Seconde Guerre mondiale, est plutôt rare.

Le public apprécie les histoires d'amitiés «miraculeuses», croit l'historienne, dans la mesure où elles sont souvent inconcevables au départ. «Elles nous réconfortent sur la
race humaine», précise-t-elle. Tout comme la fraternisation entre soldats ennemis dans le film Joyeux Noël (2005) tend à humaniser la guerre de tranchées, Ne tirez pas!
vient tempérer l'idée selon laquelle les troupes en présence se livraient forcément une guerre sans pitié jusque dans l'océan. La bataille de l'Atlantique, c'est aussi,
dorénavant, le point de départ pour comprendre une amitié qui a perduré plus de soixante ans.
 
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