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Comment perdre l'expertise de deux spécialistes belges (La Presse)

Yrys

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http://www.cyberpresse.ca/article/20070626/CPACTUALITES/706260526/6737/CPACTUALITES

ls sont tous les deux médecins spécialistes. Natifs de la Belgique, ils sont venus au Québec il y a presque deux ans pour travailler.
Elle est pédopsychiatre, lui physiatre. Deux spécialités où il y a pénurie. Samedi, ils sont repartis. Itinéraire d'un chemin de croix administratif.
Ou comment la bureaucratie peut nuire aux besoins de notre système de santé.

Ils ont bouclé leurs dernières valises et, avec leur trois enfants, ont pris l'avion pour Bruxelles.

«C'est une perte énorme pour notre hôpital, affirme la Dre Marie Laberge, chef du département de médecine physique et de réadaptation
de l'hôpital Sainte-Justine. C'est une perte énorme pour le Québec.»

En physiatrie pédiatrique, une spécialité où les médecins travaillent essentiellement avec les enfants qui ont des paralysies physiques,
le Québec perd ainsi le quart de ses effectifs. Il y avait quatre médecins spécialistes dans ce domaine. Maintenant que le Dr Thierry Gillain
est parti, il y en a trois. Le Québec pouvait aussi difficilement se permettre de perdre la Dre Christine Canseliet, pédopsychiatre, une
spécialité où la pénurie est à ce point grave qu'elle a forcé la mise en place d'un plan d'action spécial du gouvernement en 2005.
«C'est une perte clinique importante», ajoute la Dre Laberge.

Que s'est-il passé pour qu'ils décident de quitter le Canada? Des délais, des délais et encore des délais administratifs pour l'attribution
du poste de la Dre Canseliet. Le report répété des échéances a fini par avoir raison de la patience du couple.

L'hiver dernier, découragés par la lenteur du processus, les deux médecins ont commencé à chercher du travail ailleurs. Ils ont trouvé
tous les deux un poste à La Réunion, un territoire français. «Notre dossier s'est bouclé en trois semaines», dit la Dre Canseliet. Cette
population de 700 000 habitants installée dans une île non loin de Madagascar comptait cinq physiatres. Maintenant, elle en aura six.
Et la Dre Canseliet travaillera dans un des deux gros centres hospitaliers publics.

Pendant ce temps, à Sainte-Justine, il faut un an et demi avant d'avoir un rendez-vous avec un physiatre, alors que dans ce domaine,
chaque mois compte puisque l'intervention de ces médecins auprès des jeunes enfants paralysés doit se faire rapidement quand ils
sont tout jeunes, pour les aider à développer leur potentiel alors que leur corps est en pleine croissance.

Dédales administratifs

Essayer de comprendre les dédales administratifs qui ont fait que la Dre Canseliet est restée près de deux ans à attendre sans travailler,
à tourner en rond dans sa demeure de banlieue alors qu'elle-même se déclare «pas du tout du genre mère à la maison», relève de la
prouesse.Le réseau de la santé au Québec est d'une complexité bureaucratique remarquable.

Mais en version simplifiée, voici ce qui est arrivé.

D'abord, c'est le Dr Gillain qui a été recruté directement par Sainte-Justine. L'hôpital a réussi à lui octroyer un poste universitaire, ce
qu'on appelle dans le jargon un poste de «professeur sélectionné». Techniquement, cela signifie que le médecin est reconnu pour
ce qu'il peut apporter sur le plan universitaire à la médecine québécoise. Et cela donne droit à la version «tapis rouge» du processus
d'immigration au Canada d'un médecin étranger, pour reprendre l'expression du Dr François Lessard, vice-doyen exécutif à la faculté
de médecine de l'Université de Montréal.

Grâce à cette version «tapis rouge», le Dr Gillain n'a eu à attendre que deux ans entre le premier appel de Sainte-Justine et son
déménagement au Québec en 2005 avec sa femme, ses trois enfants et un poste solidement en main. En même temps, des démarches
étaient entreprises pour trouver un poste pour la Dre Canseliet, qui travaillait à l'époque pour un centre hospitalier universitaire lié à
l'Université libre de Bruxelles. «En théorie, au départ, ça devait être encore plus facile de trouver un poste pour elle puisqu'elle était
déjà dans le milieu universitaire», explique la Dre Laberge.

Et en plus, elle travaillait dans un secteur où il y a énormément de besoin au Québec. En fait, le Québec a tellement de besoins
en santé mentale que le ministère de la Santé a décidé de mettre en place, en 2005, un plan pour envoyer les médecins spécialisés
en santé mentale vers les régions, où l'on notait un manque chronique de ressources en ce domaine. Ce plan prévoyait toutefois un
gel des embauches dans les centres hospitaliers universitaires des grands centres. «Le problème, c'est qu'elle arrivait à Montréal,
la région la plus riche en pédopsychiatres de toute la province», explique le Dr Michel Marcil, directeur des affaires médicales
et universitaires à l'Agence de santé et services sociaux de Montréal.

En arrivant au milieu de ces changements, la Dre Canseliet s'est donc retrouvée coincée dans un cul-de-sac bureaucratique,
pénalisée par son statut universitaire. Un statut qu'il n'était pas question de mettre en veilleuse car c'était son billet pour
le fameux «tapis rouge».

Elle serait volontiers allée travailler en région, sur-le-champ, là où on avait désespérément besoin de gens comme elle. Mais pour cela,
les règles du ministère de la Santé l'obligeaient d'entrée de jeu à oublier son statut universitaire pour plutôt passer à travers le processus
de reconnaissance des compétences, long et complexe - incluant stages et examen de médecine générale - réservé aux médecins
non universitaires, non sélectionnés. «Je suis pédopsychiatre en Belgique depuis 1991, il n'était pas question, quand même, que je me retape
toute ma médecine. J'ai passé l'âge», dit-elle.

Selon la Dre Laberge, le noeud du problème, il est là. «Dans un monde idéal, simple, on l'aurait tout de suite embauchée comme universitaire
et on l'aurait laissée travailler à Joliette», résume-t-elle. «J'ai perdu deux années professionnelles. J'ai quitté un poste que j'adorais en Belgique.
Maintenant, mon mari quitte un poste qu'il adore à Sainte-Justine. Tout cela a été extrêmement difficile pour nous et pour moi car j'ai eu souvent
l'impression d'être traitée comme un pion, pas une personne», dit la Dre Canseliet.

Fin mars, elle a finalement obtenu une réponse: on lui avait pratiquement obtenu un poste universitaire en région, qu'il restait à confirmer
par encore quelques étapes bureaucratiques, mais le plus gros du boulot était fait, assure la Dre Laberge. «En fait, vous n'avez pas idée
de la quantité de travail que cela a pu représenter», dit-elle. Et des efforts que de nombreuses personnes ont fait, individuellement,
pour convaincre la machine de s'adapter à l'équation inhabituelle présentée par la pédopsychiatre belge.

Mais il était trop tard.

Le contrat avec La Réunion était déjà signé.

«C'est bien dommage et plusieurs personnes sont très malheureuses de leur départ, affirme le Dr Marcil. On trouvait que c'était bon
pour le Québec. Mais on n'a pas su les retenir.»
 
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