Le jour où Trudeau a déçu l’ONU
Le premier ministre Justin Trudeau a rompu une promesse phare en refusant de réengager 600 soldats dans les missions de paix de l’ONU. Le spécialiste en relations internationales et collaborateur à L’actualité Jocelyn Coulon, qui était conseiller du ministre des Affaires étrangères du Canada, Stéphane Dion, dévoile les coulisses de cette volte-face.
...Le ministre Dion et le ministre de la Défense nationale reçoivent un breffage complet avant une rencontre le 1er décembre 2016 avec les membres du Comité du cabinet sur les affaires internationales.
La veille, à minuit, je prépare les notes de Dion pour ses collègues. Au comité, le ministre Dion présente les scénarios et ils passent la rampe. Il faut maintenant informer le premier ministre. Pendant ce temps, à l’ONU, le bureau du secrétaire général prépare la nomination d’un général canadien francophone à la tête de la Mission au Mali (MINUSMA). Tout est prêt pour une rencontre avec Trudeau afin d’obtenir son accord.
Patatras ! L’entourage du premier ministre panique. Tout va trop vite, dit-on à son bureau. Certains conseillers veulent s’assurer de bien comprendre les différents scénarios. Dès lors, ils préfèrent reporter l’annonce de la participation à une opération de paix à la fin de janvier 2017. Finalement, après des jours de discussions entre les cabinets ministériels et le bureau du premier ministre, le jeudi 15 décembre, Trudeau reçoit du chef d’état-major des Forces armées, le général Jonathan Vance, un breffage de deux heures sur les différents scénarios et sur la proposition d’un déploiement au Mali. Le premier ministre est satisfait. Il entend en discuter au conseil des ministres vers la fin de janvier au retour des vacances des fêtes. À l’ONU, on se dit prêt à retarder la nomination d’un général canadien à la tête de la MINUSMA. Mais le 6 janvier 2017, nouveau coup de théâtre : le premier ministre congédie Dion.
Je quitte le bureau de la nouvelle ministre Chrystia Freeland le 10 février 2017. Son chef de cabinet m’informe que les dossiers que je traite — multilatéralisme, maintien de la paix, Afrique — ne sont pas prioritaires pour elle. Toute son énergie est maintenant concentrée sur les relations avec les États-Unis et la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain. Le réengagement dans les opérations de paix est pour l’instant dans les limbes. En fait, jusqu’à l’annonce de Vancouver en novembre 2017, le bureau du premier ministre joue au pingpong avec les Affaires étrangères et la Défense nationale. À l’évidence, les conseillers de Trudeau le convainquent de rejeter les scénarios envisagés et d’en réclamer de nouveaux, moins ambitieux...
Le 19 mars 2018, à la surprise générale, le gouvernement annonce le déploiement au sein de la mission de l’ONU au Mali d’un contingent de Casques bleus composé d’une unité de six hélicoptères et d’un groupe de soutien logistique.
Le premier ministre a cédé aux pressions internationales et à celles qui s’exprimaient au sein de son cabinet. Devant certaines décisions de politique étrangère, Justin Trudeau sait se montrer audacieux, mais la plupart du temps, il est réactif plutôt que proactif. Il hésite, il procrastine, il est sujet aux volte-face. Dans le cas de la participation à la mission au Mali, les événements se sont précipités en mars et l’ont forcé à agir. Plusieurs pays alliés qui ont des troupes au Mali, dont l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, ont exercé de fortes pressions sur le Canada afin qu’il participe à l’effort commun de maintien de la paix dans ce pays. En particulier, l’Allemagne cherchait un pays disposant d’hélicoptères afin de remplacer les siens sur le terrain...
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